Cybersécurité. La diplomatie digitale, devenue un domaine stratégique à part entière

Interview avec Anne-Marie Buzatu, Directrice Executive d’ICT4Peace, publié par la Rédaction Medias24 le 15 Avril 2025.

Face à la montée des cybermenaces et des usages de l’IA, la diplomate suisse alerte sur les risques systémiques, plaide pour une application adaptée du droit international et rappelle l’importance de la sécurité humaine.

Dans notre émission consacrée à la cybersécurité, Médias24 a reçu Anne-Marie Buzatu, directrice exécutive d’ICT4Peace, une organisation suisse pionnière qui œuvre à promouvoir un cyberespace plus sûr, fondé sur le respect du droit international et le dialogue entre États.

Experte reconnue en diplomatie digitale, elle participe activement aux négociations multilatérales sur la cybersécurité et la gouvernance de l’Internet. À l’heure où les tensions géopolitiques se déplacent de plus en plus dans le champ numérique, elle apporte un éclairage précieux sur les défis de la paix numérique, les responsabilités des acteurs étatiques et privés, et les marges d’action des pays émergents.

La diplomatie digitale, un nouveau champ stratégique

Longtemps cantonnée à l’usage des outils numériques dans les processus diplomatiques, la “diplomatie digitale” a aujourd’hui pris une toute autre dimension.

“Il n’y a pas vraiment une définition officielle ou légale. Il y a 15 ou 20 ans, on parlait surtout de technologies pour faciliter les discussions. Aujourd’hui, c’est devenu un vrai domaine stratégique à part entière”, explique Anne-Marie Buzatu.

Désormais, la question centrale est celle du comportement des États dans le cyberspace, et de leur responsabilité dans ce nouvel espace d’interactions et de tensions.

 Cyber conflits: “Attention au mot comme guerre”

L’idée d’une guerre numérique mondiale revient fréquemment dans le débat public. Une notion à manier avec précaution, selon la spécialiste. “Le mot ‘guerre’ a un sens très particulier en droit international. Parler de guerre numérique, c’est exagéré”.  Pour autant, les menaces sont bien réelles, amplifiées par l’émergence de l’intelligence artificielle. “L’IA transforme les États et les environnements numériques. Cela crée de nouveaux défis, des impacts négatifs, et il faut s’adapter en conséquence”.

Faut-il une nouvelle convention internationale pour encadrer le cyberspace ? Pour Anne-Marie Buzatu, le droit existe déjà, encore faut-il le comprendre et l’appliquer. “La plupart des États estiment que le droit international s’applique déjà. Ce qu’il nous faut, c’est interpréter et traduire ce droit aux activités en ligne. Une nouvelle convention serait difficile dans le contexte géopolitique actuel”.

Charte des Nations Unies, traités sur les droits humains… Les bases sont là, mais nécessitent un travail d’adaptation et de pédagogie.

 Gouvernance numérique : États, privés, société civile

La diplomatie du cyberespace ne repose plus uniquement sur les États. Aujourd’hui, le paysage est multipartite, souligne la directrice d’ICT4Peace. “Les entreprises qui développent les technologies, les experts techniques et la société civile ont aussi un contrôle effectif sur le cyberspace”.  Cette dernière joue un rôle essentiel : “Elle remonte les impacts concrets des politiques numériques. Elle permet de vérifier si les nouvelles lois fonctionnent réellement sur le terrain”.

La montée de l’IA générative soulève des enjeux majeurs de désinformation, de polarisation, de fracture démocratique. Des risques encore sous-estimés, selon Anne-Marie Buzatu. “Je crois que c’est une lacune importante dans les discussions internationales. Ces technologies peuvent influencer les élections, diviser les sociétés. Il faut en parler beaucoup plus”.

Interrogée sur les priorités d’un pays émergent comme le Maroc, qui structure sa stratégie cybersécurité, Anne-Marie Buzatu formule une triple recommandation à savoir connaissance du contexte, inclusion des parties prenantes et protection des droits humains.

“Chaque pays doit d’abord bien comprendre son propre paysage de menace. Ensuite, adopter une approche holistique et multipartite”, explique -t-elle.  Et de conclure : “La sécurité humaine est essentielle. Chaque politique publique doit intégrer cette notion. C’est avec elle qu’on sera mieux sécurisés et mieux connectés”.

Aujourd’hui, le paysage est multipartite, souligne la directrice d’ICT4Peace. “Les entreprises qui développent les technologies, les experts techniques et la société civile ont aussi un contrôle effectif sur le cyberspace”. Cette dernière joue un rôle essentiel : “Elle remonte les impacts concrets des politiques numériques. Elle permet de vérifier si les nouvelles lois fonctionnent réellement sur le terrain”.

La montée de l’IA générative soulève des enjeux majeurs de désinformation, de polarisation, de fracture démocratique. Des risques encore sous-estimés, selon Anne-Marie Buzatu. “Je crois que c’est une lacune importante dans les discussions internationales. Ces technologies peuvent influencer les élections, diviser les sociétés. Il faut en parler beaucoup plus”.

Interrogée sur les priorités d’un pays émergent comme le Maroc, qui structure sa stratégie cybersécurité, Anne-Marie Buzatu formule une triple recommandation à savoir connaissance du contexte, inclusion des parties prenantes et protection des droits humains.

“Chaque pays doit d’abord bien comprendre son propre paysage de menace. Ensuite, adopter une approche holistique et multipartite”, explique -t-elle. Et de conclure : “La sécurité humaine est essentielle. Chaque politique publique doit intégrer cette notion. C’est avec elle qu’on sera mieux sécurisés et mieux connectés”.

Voir l’article sur ligne ici: : https://lnkd.in/e6gAbG-J

Voir le text en Anglais en bas:

Cybersecurity. Digital diplomacy has become a strategic field in its own right.

Interview  with Anne-Marie Buzatu, Executive Director ICT4Peace, on the occasion of GITEX Africa 2025 by Rédaction Media24.com

Faced with the rise in cyberthreats and the uses of AI, the Swiss diplomat warns of systemic risks, argues for the appropriate application of international law and recalls the importance of human security.

In our program dedicated to cybersecurity, Médias24 interviewed Anne-Marie Buzatu, Executive Director of ICT4Peace, a pioneering Swiss organization working to promote a safer cyberspace, based on respect for international law and dialogue between states.

A recognized expert in digital diplomacy, she plays an active role in multilateral negotiations on cybersecurity and Internet governance. At a time when geopolitical tensions are increasingly shifting to the digital arena, she sheds valuable light on the challenges of digital peace, the responsibilities of state and private players, and the scope for action by emerging countries.

Digital diplomacy, a new strategic field

Long confined to the use of digital tools in diplomatic processes, “digital diplomacy” has now taken on a whole new dimension.

“There isn’t really an official or legal definition. 15 or 20 years ago, we mainly talked about technologies to facilitate discussions. Today, it has become a real strategic field in its own right”, explains Anne-Marie Buzatu.

The key question now is how states behave in cyberspace, and what their responsibilities are in this new space of interaction and tension.

Cyberconflict: Beware of the word ‘war’

The idea of a global digital war is frequently raised in public debate. A notion to be handled with care, according to the specialist. “The word ‘war’ has a very specific meaning in international law. To speak of a digital war is an exaggeration”.  Nevertheless, the threats are very real, amplified by the emergence of artificial intelligence. “AI is transforming states and digital environments. It creates new challenges, negative impacts, and we need to adapt accordingly.”

Do we need a new international convention to regulate cyberspace? For Anne-Marie Buzatu, the law already exists, but it needs to be understood and applied. “Most states feel that international law already applies. What we need to do is interpret and translate this law to online activities. A new convention would be difficult in the current geopolitical context”.

United Nations Charter, human rights treaties… The basics are there but need to be adapted and taught.

 Digital governance: States, private sector, civil society

Diplomacy in cyberspace no longer relies solely on states. Today, the landscape is multi-stakeholder, emphasizes the director of ICT4Peace. “Companies that develop technologies, technical experts and civil society also have effective control over cyberspace”.  The latter plays an essential role: “It traces the concrete impacts of digital policies. It allows us to check whether new laws really work on the ground”.

The rise of generative AI raises major issues of disinformation, polarization and democratic fracture. Risks that are still underestimated, according to Anne-Marie Buzatu. “I think this is a major gap in international discussions. These technologies can influence elections and divide societies. We need to talk about it a lot more”.

Asked about the priorities of an emerging country like Morocco, which is structuring its cybersecurity strategy, Anne-Marie Buzatu makes a threefold recommendation: contextual awareness, stakeholder inclusion and protection of human rights.

“Each country must first understand its own threat landscape. Then, adopt a holistic, multi-stakeholder approach”, she explains.  She concludes: “Human security is essential. Every public policy must integrate this notion. That’s how we’ll become more secure and better connected.

English translation by deepl of Interview by Rédaction Média24, published first by Média24 on 15 April 2025.

Geneva, 19 Avril 2025